Utiliser ChatGPT comme avocat? C'est gratuit mais pas sans risques!
- Jean-Michel Solignac

- 3 nov.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Poser une question juridique à une intelligence artificielle plutôt qu'à un avocat séduit de plus en plus de Français en quête de réponses rapides et gratuites, mais cette commodité cache des écueils parfois lourds de conséquences. Notre blog juridique décrypte ces questions.

ChatGPT et le droit : un conseiller juridique accessible mais imparfait
💡 L'émergence de ChatGPT et d'autres intelligences artificielles conversationnelles (Gemini de Google, Claude, Perplexity) a démocratisé l'accès à une forme de conseil juridique instantané. Il suffit de formuler sa question en langage naturel pour obtenir en quelques secondes une réponse structurée citant des principes de droit, des articles de loi ou des démarches à suivre.
Cette accessibilité tranche radicalement avec le parcours traditionnel : recherche d'un avocat compétent, prise de rendez-vous, consultation facturée entre 150 et 300 euros pour une heure d'entretien.
LegiGPT : un outil français
Des outils spécialisés ont même vu le jour comme LegiGPT, un GPT personnalisé qui affirme connaître 148191 articles de loi français jusqu'au 17 avril 2022 et proclame avec une pointe d'humour : "Je ne suis pas avocat mais..." Cette spécialisation permet d'interroger directement le corpus législatif français sans naviguer dans les méandres de Légifrance ou du Code civil. Pour une première orientation sur un bail d'habitation, un licenciement économique ou une succession simple, ces outils fournissent effectivement des réponses correctes dans leur principe général.
L'IA présente aussi un avantage éthique non négligeable : elle n'incite jamais à l'illégalité et adopte systématiquement une posture prudente dès qu'une zone grise apparaît.
Contrairement à certains forums juridiques où des internautes bien intentionnés suggèrent parfois des contournements discutables de la loi, ChatGPT reste prudemment du côté de la légalité et recommande (assez souvent, mais pas toujours) de consulter un professionnel qualifié pour les situations complexes. Cette retenue constitue déjà une forme de sécurité pour l'utilisateur non averti.
Les risques majeurs d'une consultation juridique par IA
Le premier danger réside dans les données de formation obsolètes ou incomplètes. ChatGPT standard possède une date limite de connaissances qui varie selon les versions (avril 2023 pour GPT-4, octobre 2023 pour certaines versions récentes). Or le droit évolue constamment : nouvelles lois, décrets d'application, revirements jurisprudentiels de la Cour de cassation ou du Conseil d'État.
Une réforme fiscale votée en 2024 reste totalement invisible pour une IA dont les connaissances s'arrêtent en 2023, conduisant potentiellement l'utilisateur à des choix inadaptés voire préjudiciables. LegiGPT lui-même assume une limite au 17 avril 2022, soit plus de trois ans de vide législatif pour un utilisateur consultant aujourd'hui en 2025 (c'est beaucoup).
Les hallucinations constituent le risque le plus insidieux et documenté des intelligences artificielles génératives. Une hallucination désigne le moment où l'IA invente littéralement des informations avec une assurance déconcertante, mélangeant des bribes de données réelles pour créer une fiction parfaitement crédible en apparence.
L'exemple devenu célèbre du voyageur bloqué à l'aéroport illustre parfaitement ce danger : ayant demandé à ChatGPT si un visa était nécessaire pour sa destination, il reçut une réponse négative catégorique alors que le pays exigeait effectivement un visa. Résultat : refus d'embarquement, billets perdus, réservations d'hôtel annulées et vacances ruinées.
Transposez ce scénario au domaine juridique et imaginez les conséquences d'une IA qui affirmerait à tort qu'un délai de prescription est de cinq ans alors qu'il n'est que de deux, ou qui indiquerait une procédure inexistante pour contester un licenciement. Et hop, vous finissez en prison à cause de ChatGPT (j'exagère à peine).
Plus inquiétant encore, l'IA peut confondre des subtilités juridiques cruciales. Le droit français regorge de distinctions fines que seul un juriste expérimenté maîtrise : différence entre nullité absolue et nullité relative, conditions d'application d'un texte selon la date des faits, exceptions jurisprudentielles à un principe général.
Une IA peut parfaitement citer le bon article de loi tout en ignorant l'arrêt de la Cour de cassation qui en a modifié l'interprétation trois mois plus tôt.
Elle peut également négliger une condition d'application essentielle, comme une obligation de mise en demeure préalable ou un formalisme particulier sans lequel l'action envisagée serait irrecevable.
La confidentialité des données constitue un troisième risque majeur et pourtant largement sous-estimé. Lorsque vous exposez votre situation à ChatGPT, vous transmettez potentiellement des informations personnelles sensibles : montants financiers, noms de personnes, détails d'un conflit familial, éléments d'un dossier professionnel confidentiel.
Ces données transitent et sont stockées sur des serveurs américains appartenant à OpenAI, entreprise soumise au droit américain et notamment au Cloud Act qui permet aux autorités américaines d'accéder aux données hébergées par les entreprises US où qu'elles se trouvent dans le monde.
Cette exposition contraste violemment avec le secret professionnel absolu qui lie l'avocat à son client, protégé par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et sanctionné pénalement en cas de violation.
OpenAI utilise également les conversations pour améliorer ses modèles, sauf désactivation explicite d'une option enfouie dans les paramètres que peu d'utilisateurs connaissent. Votre litige avec votre employeur pourrait ainsi servir à entraîner la prochaine version de l'IA, scénario difficilement compatible avec la discrétion attendue d'un conseil juridique. Pour des questions anodines (comprendre le fonctionnement d'une donation, connaître les délais légaux de rétractation), le risque reste limité. Dès qu'il s'agit d'un contentieux réel avec enjeux financiers ou personnels significatifs, cette porosité des données devient franchement problématique.
Quand et comment utiliser l'Intelligence Artificielle pour des questions juridiques
L'intelligence artificielle trouve sa pertinence dans une phase préliminaire de documentation générale. Vous souhaitez comprendre les grands principes d'un régime matrimonial avant de rencontrer un notaire, vous interroger sur vos droits théoriques en tant que locataire face à des travaux imposés, ou découvrir les étapes générales d'une procédure de divorce: l'IA fournira un panorama utile et pédagogique sans remplacer le conseil personnalisé ultérieur. Elle excelle à vulgariser des concepts juridiques complexes et à donner une première cartographie d'une problématique inconnue. Sur ce point, c'est très bien, c'est utile.
Utilisez l'IA comme un dictionnaire juridique amélioré ou un assistant de recherche préliminaire, jamais comme un décisionnaire. Considérez ses réponses comme un point de départ à vérifier systématiquement auprès de sources officielles (Légifrance, Code en vigueur) ou mieux encore auprès d'un professionnel du droit. Si l'IA mentionne un article de loi, consultez-le directement dans sa version consolidée à jour. Si elle évoque une démarche administrative, vérifiez-la sur le site officiel de l'administration concernée (service-public.fr).
Pour limiter les risques de fuite de données, anonymisez systématiquement votre situation en supprimant noms propres, lieux précis et montants exacts. Reformulez votre question de manière générique: plutôt que "Mon employeur SARL Durand à Lyon m'a licencié le 15 mars pour faute grave alors que...", préférez "Un salarié licencié pour faute grave peut-il contester si...". Cette précaution élémentaire préserve votre confidentialité tout en permettant d'obtenir une réponse juridique exploitable.
Dès que votre situation présente un enjeu financier supérieur à quelques centaines d'euros, des conséquences sur vos droits fondamentaux (garde d'enfants, expulsion, licenciement), ou une complexité sortant de l'ordinaire, la consultation d'un avocat devient non négociable.
Les 200 à 300 euros d'une consultation spécialisée représentent une assurance indispensable contre les erreurs qui pourraient vous coûter des milliers d'euros ou des droits irrémédiablement perdus par prescription. L'aide juridictionnelle existe par ailleurs pour les revenus modestes, permettant une prise en charge totale ou partielle des honoraires.
Certains cabinets d'avocats proposent désormais des consultations courtes à tarif réduit (30 minutes pour 80-100 euros) spécifiquement pensées pour valider ou infirmer une première analyse que vous auriez menée vous-même, éventuellement avec l'aide d'une IA. Cette approche hybride optimise le temps de l'avocat tout en vous apportant la sécurité juridique indispensable. C'est probablement là que réside l'équilibre entre accessibilité et prudence: utiliser l'IA pour défricher, l'avocat pour sécuriser.
Réponses aux questions de nos lecteurs
L'IA peut-elle remplacer totalement un avocat?
Non, et ce pour plusieurs raisons structurelles. L'avocat apporte une analyse personnalisée de votre situation spécifique, intégrant tous les éléments factuels et toutes les subtilités de votre dossier que vous ne penseriez pas nécessairement à mentionner. Il connaît la jurisprudence locale de votre tribunal, les pratiques des juges et les stratégies contentieuses adaptées. Surtout, l'avocat engage sa responsabilité civile professionnelle : si son conseil s'avère erroné et vous cause un préjudice, vous pouvez obtenir réparation via son assurance. Une IA n'offre aucune responsabilité, aucun recours et aucune garantie. Elle constitue un outil documentaire, pas un conseil opposable.
ChatGPT peut-il rédiger un contrat ou une assignation?
Techniquement oui, pratiquement c'est une très mauvaise idée. ChatGPT peut générer un document qui ressemble formellement à un contrat de travail, un bail commercial ou même une assignation en justice. Le problème réside dans les clauses inadaptées à votre situation, les protections juridiques manquantes, les formulations ambiguës sources de contentieux futurs, ou pire les erreurs procédurales rédhibitoires. Un contrat mal rédigé vous expose à des années de conflit et des frais judiciaires considérables. Une assignation comportant un vice de forme sera déclarée irrecevable, vous faisant perdre un temps précieux et éventuellement un délai de prescription. La rédaction d'actes juridiques relève exclusivement de professionnels habilités (avocats, notaires, juristes) qui maîtrisent les attendus formels et les conséquences de chaque clause.
Les données que je donne à ChatGPT sont-elles vraiment exploitées?
Oui, sauf désactivation explicite. Par défaut, OpenAI utilise les conversations pour améliorer ses modèles d'IA dans le cadre de son processus d'apprentissage continu. Vous pouvez désactiver cette utilisation dans les paramètres de votre compte (Data Controls > Improve the model for everyone), mais cette option reste peu connue et doit être activée manuellement. Par ailleurs, même désactivée, vos données transitent et sont temporairement stockées sur les serveurs d'OpenAI aux États-Unis, soumis au droit américain. Pour une question juridique sensible, partez du principe que la confidentialité absolue n'existe pas avec une IA grand public gratuite, contrairement au secret professionnel de l'avocat pénalement sanctionné.
Existe-t-il des IA juridiques certifiées ou plus fiables?
Plusieurs solutions émergent sur le marché français avec des ambitions de fiabilité supérieure. LegiGPT se spécialise sur le droit français mais assume une limite temporelle à avril 2022. Des startups juridiques comme Doctrine.fr ou Dalloz.fr développent des assistants IA entraînés spécifiquement sur la jurisprudence française et actualisés régulièrement, généralement proposés en accès payant aux professionnels du droit. Ces outils réduisent le risque d'hallucination et d'obsolescence mais ne l'éliminent pas totalement. Même une IA spécialisée ne remplace pas le jugement humain d'un juriste qui pondère les textes, la jurisprudence et les spécificités de votre dossier pour construire une stratégie juridique cohérente. Considérez ces IA avancées comme des outils professionnels d'aide à la recherche, pas comme des substituts au conseil.


